Un nouveau sport est né : le garagare ou pour faire plus jeune l’UTMB, Ultra Transvosges Méga Brute, mais attention rien à voir avec le vrai UTMB qui lui est vraiment un truc de fêlés, d’ailleurs le sigle UTMB est déposé et là je risque déjà le procès…
Le principe est simple : passer le plus vite possible d’une gare à une autre. C’est un peu le même principe que celui bien connu de la correspondance qui consiste à changer de quai pour prendre un autre train. Alors que la correspondance exige vitesse, débrouillardise, culot aussi pour oser pousser dans l’escalier la mamie qui ne va pas assez vite à descendre, le garagare fait plus appel à l’endurance voire à l’entêtement.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser les principales difficultés du garagare se trouvent dans la gare elle même. Par exemple, prendre le TGV qui va de Nancy à Epinal (mort de rire il ne dépasse pas les 100 km/h !) relève de l’exploit : billet commandé sur internet, impression du code, insertion de la carte bancaire dans l’appareil pour se faire dire que aucun billet n’a été commandé avec cette carte, dialogue de sourd avec le chef de train, etc…
Un garagare doit se faire en autonomie, sans assistance et sans balisage même si pour celui dont il est question ici de bonnes âmes sont venus m’accompagner voire me prêter une frontale que j’avais oublié, m’offrir quelques fruits après une longue nuit difficile.
Pour vous faire vivre de l’intérieur les plaisirs d’un garagare j’avais songé marcher avec une Gopro au bout d’un stick afin de filmer mon visage pendant ces 24 heures, le film aurait pu être visionné dans les écoles dans le cadre des nouveaux cours de morale pour illustrer le mot « courage » ou bien « entêtement » ou bien aussi en spécialité psychiatrie en fac de médecine…
Au lieu de cela j’ai emmené un dictaphone, oui même seul je ne peux pas m’empêcher de parler, voici ci-dessous la transcription fidèle de cet enregistrement. Comme j’avais oublié l’appareil photo, la frontale, une partie de la bouffe, etc..les photos sont des images d’archives.
15h58, gare de Belfort, je descends rapidement du train car j’ai une correspondance à 16h00 au quai 2 avec le train de Nancy mais à la gare de…St Dié des Vosges.
19h, Malvaux, premier cailloux dans la chaussure, déjà 20 bornes de faites mais à peine 60 m. de dénivelé, dire qu’il en reste encore plus de 3000, les quadriceps montrent déjà qu’ils existent. Temps idéal pour marcher, premier endroit vraiment sauvage depuis Belfort.
20h33, arrivée à la Gentiane, la côte qui me faisait peur sur le profil est derrière moi avec une heure d’avance sur le timing. Je pense que maintenant je ne vais plus rencontrer grand monde. D’ici au col de Bussang, ca devrait être sympa, ça monte et ça descend mais pas trop..
20h50, Tête des Redoute. Un chamois me regarde tranquillement passer. Je lui dirais bien de venir avec moi mais après il va falloir que je lui paye un billet de train pour le retour, et avec les correspondances ça va être trop galère pour lui.
21h00, Trou de la Chaumière. Éclairage magnifique qui fait ressortir une infinité de nuances de verts. Un beau coup d’oeil sur le Boedelen. Quelle différence avec l’hiver, quand on pense à toutes les conneries qu’on peut venir faire ici. J’ai failli en louper le départ du sentier. Les dernières lueurs du soleil éclairent ma pause syndicale, 5 minutes toutes les heures pour prendre le temps de boire (je hais les camelbags) et de grignoter. Il reste 80 bornes, petite douleur au tendon d’Achille.
21h15. Coup de téléphone. Monotrace qui est au courant de ma balade est dans le coin et souhaite m’accompagner sur une portion, sympa ! Deuxième coup de fil, c’est Victor « Salut Papa, t’en es où ? ». Un peu plus tôt j’avais eu une autre sonnerie plus courte, celle qui indique l’arrivée d’un SMS. C’est Krampus qui me souhaite une bonne traversée. J’en profite pour faire une longue pause afin de lui répondre comme il se doit, je mets « Merci ! », 10 minutes rien que pour trouver le point d’exclamation. Mais quelle magie ce portable !
22h30. Col des Charbonniers. Monotrace vient de me quitter. On a discuté tout le long, c’était bien sympa, par contre j’ai peut être marché un peu vite, je vais sans doute le payer plus tard.
23h15. Chaume des Neufs Bois. Il fait maintenant vraiment nuit. Dans le faisceau de la lampe, les feuilles de Gentiane brillent comme si elles étaient réfléchissantes. Ce qui brille également ce sont les balises du club vosgien, un petit carré réfléchissant cloué sur les arbres de temps à autre, très pratique lorsque le sentier est encombré de rocher ou d’arbres en travers. Devant moi une longue descente jusqu’au col de Bussang, ça va faire du bien.
24h00. Un petit doute sur l’itinéraire, il faut avancer pour vérifier. J’ai encore une heure d’avance mais ça va être utile pour la section qui va venir où je risque de ne pas tenir la moyenne de 5 km/h, d’autant que je n’ai pas tenu compte du dénivelé dans mes prévisions…
24h30. Finalement je suis sur le bon chemin mais il est interminable…J’imagine déjà le bon bain chaud que je vais prendre demain soir..ben non ce soir en fait, enfin normalement. Les genoux commencent à se rappeler à mon bon souvenir. Le chemin surplombe la route du col de Bussang et j’entends les camions qui normalement n’ont pas le droit de l’emprunter après 22h.
24h37. Col de Bussang. Je descends l’échelle qui permet de franchir le mur de soutènement de la route. Pas le moment de se faire écraser par un camion. A partir de maintenant il faut que je fasse gaffe au niveau orientation car je ne vais plus suivre le GR afin de limiter le dénivelé.
01h12. 40 bornes de fait ! Refuge du Plain du Repos sous le Drumont. Encore 50 minutes d’avance sur le timing. J’ai la dalle et j’ai très soif donc casse croûte dans la cabane. C’est plutôt sympa d’être là au beau milieu de la nuit.
01h30. Le GPS me dit de prendre à droite mais à droite pas de chemin…
01h35. Je suis maintenant hors sentier, ça sent la connerie à plein nez.
01h45. Bon ben voilà, paumé en pleine forêt et en plus c’est pentu….
02h00. Ouf..un chemin. Sauvé par la carto OSM enregistrée dans le GPS qui m’a permis de repérer qu’il y avait un sentier pas loin de l’endroit où j’étais en train de m’enterrer.
02h30. On rentre dans les heures difficiles. Je trébuche de plus en plus souvent d’autant que j’ai les mains occupées, le GPS d’une main, la carte de l’autre, les bâtons. la prochaine fois je prends un porteur…non il n’y aura pas de prochaine fois.
03h10. Un bruit de voiture pas loin de moi, bizarre…
03h20. Chaume des Vintergès, un coin magique des hautes Vosges mais très paumatoire également. J’attaque un secteur compliqué qui passe par la Tête du Chat Sauvage, vigilance…
03h30. Ben voilà je me suis encore paumé…
03h40. Je suis retrouvé mais la moyenne chute, ça va être chaud pour le train. Le chemin est cassant à souhait, j’ai hâte d’arriver au Grand Ventron. Il reste encore 54 bornes à faire jusque St Dié…
03h45. Grand Ventron passé ouf ! De mon avance il ne reste plus qu’un petit quart d’heure mais le plus difficile est (normalement) derrière moi, d’autant que le jour va se lever bientôt…normalement. J’ai sommeille et mal aux pattes arrières.
04h00. Pourrifaing, le bien nommé. Lever du jour sur la Tourbière, magique !
04h30. Ca va mal ! J’ai perdu mon planning, le GPS me dit qu’il reste 134 km à faire ! Je pense que je deviens fou car j’entends quelqu’un jouer du clairon…
04h35. Le GPS s’est recalé sur des valeurs plus raisonnables, j’entends toujours le clairon, j’ai mal partout.
04h45. Col de Bramont enfin ! En route pour Machey, mais ça grimpe…
05h45. Col de l’Etang. Face à moi la dernière grosse grimpette pour rejoindre les crêtes.
06h00. Il reste 43 bornes. Un petit détour par la source de la Thur pour faire le plein d’eau. Magnifique ambiance, les crêtes sont dans la brume avec le soleil qui perce par endroit. D’ici on voit la crête jusqu’au Ballon d’Alsace, ça parait loin, il m’aura fallu la nuit entière.
07h00. Ambiance féérique (mais pourquoi est ce que j’ai oublié mon appareil photo ?), au sol des tapis d’anémones rendues brillantes par la rosée, en l’air des nuages de brumes qui traversent les crêtes, le soleil qui perce et des dizaines de chamois à peine dérangés par mon passage. J’en oublierais presque mes plantes de pieds en feu.
07h30. Je viens enfin d’ôter le petit caillou qui voyageait dans ma chaussure gauche depuis le début de la nuit. Plaisir simple…
08h00. Col de la Schlucht. Arrgh, je suis un poil en retard sur l’horaire. La partie goudronnée qui m’attend jusqu’au Tanet va me permettre de rattraper même si j’apprécie peu de marcher sur le goudron surtout avec la plante des pieds en feu.
09h15. J’ai sommeil et j’ai mal aux pieds. Je viens d’entendre ma première moto sur la route des Crêtes, ce week-end ça promet !
10h00. Col du Louschbach. Content d’être là même si je sais qu’il va falloir marcher sur la route sur plusieurs kilomètres et en montée en plus ! Je suis pile dans les temps, ça signifie que je n’ai plus le droit de ralentir.
10h45. Le Bonhomme ! La dernière grimpette se trouve juste après le col et ensuite ça descend.
11h30. Krampus vient de m’appeler sur le portable. Il m’attend au col de Mandray mais c’est encore à 8 ou 9 bornes de là. J’accélère le pas, ça descend bien, je marche presque vite d’après le GPS.
13h00. Rencontre avec Krampus qui est venu m’apporter un petit encas dont des fruits, c’est royal ! Il repart vite au boulot et moi je dégringole vers la plaine, ça sent la fin et je suis presque en avance !
13h20. Je suis dans la plaine maintenant. Il fait une chaleur d’enfer et devant moi une interminable ligne droite goudronnée. Il reste une dizaine de bornes, ça semble donc faisable même si je marche de plus en plus doucement.
14h40. Il reste 3 km, chaque pas est douloureux, je marche comme un petit vieux. Je profite d’un petit coin retiré pour me changer, histoire d’être un peu plus présentable pour prendre le train. Je troque les chaussures de marches contre des sandalettes mais c’est tout aussi douloureux et bien sûr 500 m. après je me retrouve en sandalettes dans un bourbier infâme.
16h20. Entrée dans St Dié par les hauteurs. J’aurai mon train c’est sûr, je peux même ralentir un peu, ce qui reviendrait à peu près à m’arrêter…
16h40. J’entre dans la gare, le train part dans 20 minutes. Tout me semble compliqué : acheter le billet, traverser les voies, monter dans le train,…Je m’affale sur la banquette, je pose mon billet sur la tablette à l’intention d’un éventuel contrôleur et je m’endors profondément…
Infos techniques et itinéraires sur Camp to Camp
- 3×3 au Dolent - 17 mai 2024
- On a skié à Ibiza ! - 1 mai 2024
- Fin de semaine là-haut - 23 décembre 2023