Comme prévu, nous retrouvons l’équipe du CLASSE et entamons une longue ascension en terrain pierreux parsemé de quelques arbustes rabougris qui disputent aux courants souterrains et aux gouffres le peu d’eau disponible. A mi-pente, alors qu’elle avance de sa démarche féline caractéristique, Yoko se retrouve nez à nez avec une grande vipère locale, longue de presqu’un mètre, à la peau verdâtre tachée de plaques noires, qui élève sa tête en sifflant. Les deux tueuses s’évaluent un court instant. Le corps du serpent ondule avant l’assaut, interrompu par la lame fatale du poignard qui vient se ficher exactement entre ses deux yeux. Yoko, calme malgré l’intensité de ce qu’elle vient de vivre, retire délicatement le couteau du cadavre, l’essuie aux feuilles d’un arbrisseau proche et reprend sa marche comme si de rien n’était. A une centaine de mètres du sommet, un refuge fermé laisse supposer qu’une saison propice existe pour y séjourner. A distance raisonnable, des latrines à ciel ouvert offrent des commodités écologiques. Le point culminant enfin atteint est décoré d’une petite cabane de tôle peinte en rouge vif et d’un drapeau aux couleurs du pays. Le panorama à 360° est fait de montagnes semblables, dont certaines très proches sont bosniaques malgré leur similitude.
C’est alors qu’au lieu de revenir sur nos pas, nous descendons vers le sud-ouest jusqu’à un effondrement comblé d’une doline. Vic, en avance de plusieurs centaines de mètres disparait de notre champ de vision. Le pensant plus rapide, nous continuons notre progression facile à la descente. Une heure et demie plus tard, nous le retrouvons assis sur une pierre. Il nous attend depuis plus d’une heure. Surpris d’une telle célérité, nous cherchons un subterfuge. Il nous avoue que, mandaté pour étudier le vieux relevé cartographique, il a trouvé facilement au milieu de la doline une fissure qui permet de rejoindre le lit de la rivière souterraine asséchée qu’il a alors suivi sans difficulté particulière jusqu’à la sortie. Mais celle-ci était obstruée par un énorme ours mâle qui, au lieu de le dévorer sauvagement, lui a gentiment plaqué la main sur les fesses et l’a poussé dans la prairie ensoleillée. Son histoire abracadabrantesque nous interpelle. A-t-il abusé de stupéfiants ? Est-il devenu mythomane ? A-t-il perdu la raison ? Nous comprendrons dans quelques jours qu’il n’a dit que la vérité, mais n’anticipons pas ! Contents d’être tous revenus entiers et vivants de cette mission bien accomplie, nous retournerons festoyer dans le château fort de la veille, à la grande joie des serveurs qui nous offriront quelques bouteilles de vin local en souvenir. Bridget ne cache pas sa satisfaction. Quant à Vic, il garde un air étonné que nous interprétons comme de la modestie.
C’est avec le sentiment du devoir accompli que nous quittons Knin le lendemain matin pour effectuer un long trajet de liaison vers le nord-ouest. L’automne s’installe assez brutalement à coups d’averses froides, de brumes et de sautes de vent qui font fuir les feuilles. Nous traversons encore des zones désolées, des hameaux en ruines, des bourgs tristes. Dans l’après-midi, cependant, la route longe une rivière sympathique, bordée d’une forêt prospère. Les villages sont de nouveau habités et entretenus. Des commerces se signalent aux passants par des enseignes rutilantes. Nous arrivons à la nuit tombée, sous une pluie battante, dans un terrain de camping immense quasiment désert. Des petits bungalows triangulaires nous épargnent la douche froide.
La journée qui suit est consacrée à l’exploration de l’immense parc naturel de Plitvice. Le site ne manque pas d’atouts malgré le mauvais temps ; Au contraire, la brume persistante et le fort débit des ruisseaux mettent en valeur les étangs et lacs qui se déversent les uns dans les autres par de magnifiques cascades bordées de mousses et d’algues graciles. Le cheminement sur des caillebotis et de petits ponts de bois n’est pas stressant. Comme il y a beaucoup de touristes d’Extrême-Orient, l’atmosphère brumeuse, les nénuphars et la buée sur les lunettes concourent à l’illusion que l’on se promène dans un dessin d’Hokusai ou d’Hiroshige. C’est une belle journée finalement malgré la surfréquentation toute relative à cette saison. Ce parc est à éviter en plein été.
- Peaux de banane à Split - 19 février 2020
4 Responses
Bravo pour cet inédit posthume de Ian Fleming à quand l’adaptation cinématographique ? Prévoir un gros budget !
On lance une cagnotte !
Message de l’agent R OSS 217 à Croquignol et son KCO : « Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone … ». Sinon, content que vous êtes de retour, d’une mission si périlleuse, sain et saufs. Bravo Jacques d’avoir pu discrètement tenir le journal en terrain ennemi. Restez vigilants, et méfiez-vous toujours du costume traditionnel du Vorarlberg !
Merci pour tes conseils avisés.