Cet article a fait l’objet d’une publication dans la revue Vélocité n°97 d’Octobre 2008
Salut, je m’appelle Sacha…
Vous me reconnaissez ? C’est moi le « petit frère » dans l’article de l’an dernier sur la traversée de la Meuse en vélo. Cette année j’ai 5 ans !
Un vélo neuf, enfin presque…
Bon je ne vais pas vous la jouer intello comme mon frangin, moi ça fait des années qu’on me promène en carriole alors maintenant j’ai dit à ma mère : « tu me payes un vélo tout neuf et cette année JE ROULE, sinon je me trouve une colo avec des filles de mon âge… »
Me voici donc par un beau matin d’été à Bussang à regarder mon père faire le bouffon perché sur la fontaine d’où la Moselle jaillit de la terre en expliquant qu’on va passer là et puis là, qu’on va traverser telle ville, qu’on va aller dans plusieurs pays, que ça va être long, et patati et patata…
A la source, il est gravé :
O Moselle salut !
Mère illustre en produits,
en jeunesse guerrière,
et en homme instruits.
Ausone, poëte du IV ème siècle
Normalement je devrais avoir un vélo tout neuf mais mon frangin qui n’en loupe pas une a remarqué que le sien était un peu plus petit que le mien, c’est donc lui qui prendra le neuf et moi il me reste le vieux, ça se paiera un jour…
C’est enfin le départ, une grande descente où j’ai bien du mal à freiner avec mes petites mains. Ensuite c’est du billard, nous sommes sur la Voie Verte des Hautes Vosges, une pure merveille, pas de voiture donc je peux rouler à fond les gaz.
L’homme qui savait lire les nuages
Mais très vite de gros nuages tout noirs arrivent de derrière la montagne, mais mon père nous dit qu’il ne pleuvra pas, il s’y connait bien en nuages mon père. 5 minutes plus tard nous roulons sous une pluie torrentielle, heureusement un monsieur très gentil nous ouvre la porte de son usine.
Pendant que maman grommelle après mon père qui serait soit disant un gros nul en météo, nous on visite l’usine du monsieur où on fabrique entre autres des pièces pour des rollers qu’utilisent les champions de vitesse. Ensuite comme il ne pleut plus, on reprend la route…
On arrive assez vite à Remiremont et malheureusement c’est la fin de la Voie Verte, de toutes façons moi et mon frère ça fait un petit moment qu’on s’est installé dans nos charrettes avec nos vélos accrochés derrière. D’accord c’est un peu plus lourd à tirer pour nos parents mais nous qu’est ce qu’on est bien.
Sans voie, ni loi
Après Remiremont, mon père a eu une idée : longer le canal qui amène l’eau à l’étang de Bouzey. Effectivement, au début c’est pas mal mais on arrive très vite à un endroit où le canal passe sous la terre et où le chemin n’existe plus. Il faut rebrousser chemin. Un peu plus loin c’est les orties qui encombrent le chemin. Les grands ont l’air fatigué, surtout que le compteur indique déjà une bonne soixantaine de kilomètres, et en plus il pleut….
Pendant que mon papa se bat avec un champ de fougères qui barre le chemin, ma maman se lamente en disant que si elle s’était mariée avec Bruce Willis elle n’en serait pas là. Marie Noëlle se marre…
Arrivés dans un village qui s’appelle Pouxeux, comme tout le monde en a plein les roues, on cherche un coin pour dormir et comme il n’y a pas de camping on se rabat sur le stade de foot. Une petite famille qui passait par là en vélo a pitié de nous et nous propose leur bout de jardin et en échange on fait l’attraction en montant nos tentes pendant qu’ils boivent l’apéro sur leur terrasse.
Encore quelques kilomètres pour aller au resto (eh c’est les vacances, non ?) avec un retour sous l’orage et le déluge et il est l’heure d’aller au lit dans la tente.
Les retrouvailles d’Epinal
Le lendemain je suis le premier réveillé comme d’habitude et je vais jouer avec les gamins qui habitent la maison devant laquelle on squatte. Tout le lotissement regarde avec compassion cette famille de migrants qui n’ont même pas de voiture pour partir en vacances mais les enfants aimeraient bien essayer ma carriole. Désolé les gars, il faut qu’on y aille, on a de la route nous, on fait le Tour du Monde de la Moselle !
Ce matin je n’ai pas le droit de rouler car entre Remiremont et Epinal c’est galère : que des routes avec des camions qui roulent comme des fadas, alors mon frangin et moi on bulle dans les charrettes pendant que les parents transpirent sur leurs guidons.
A midi on arrive au port d’Epinal et on rejoint Nicolas et sa bande. C’est lui l’organisateur de Lorraine en Voies Vertes. Ma copine Evelyne est là, elle est super gentille avec moi et puis il y a Lucette qui a toujours pleins de bonbecs dans ses poches et Albert qui est toujours en train de réparer quelque chose. Cette année il y a plein de monde avec des remorques, il y a même un tandem !
Les Charmes de la Moselle
A partir de là je peux rouler car on est sur des chemins et en plus c’est super car il y a plein de flaques d’eau. Mais ma maman m’a dit qu’il ne fallait pas que je roule dans les flaques car il faut que « mes vêtements fassent la semaine », mais elle a ajouté « … sauf si tu n’as pas le choix ». Alors une bonne partie de l’après midi je roule dans les flaques car « je n’ai carrément pas le choix ! ».
Le chemin passe tantôt en bordure d’étangs où il y a des gens qui pêchent, au bord du canal où il y a quelques bateaux qui passent mais ce que je préfère c’est quand on passe tout près des grands tas de sable où il y a des grosses grues et des tracteurs.
Ce soir on dort au camping de Charmes, c’est cool il y a des jeux ! Mais avant de jouer il faut se rhabiller propre, mettre mon T-shirt jaune « Lorraine en Voies Vertes » ( et pas l’inverse..) et aller voir des zélus à la mairie. Nicolas sort ses cartes, il y a des messieurs qui parlent, c’est long mais pendant ce temps je bois du jus d’orange et je mange les gâteaux qui sont sur la table, ce qui fait râler ma mère.
Le lendemain, il ne fait pas bien chaud et il pleut assez souvent, je passe donc pas mal de temps dans ma charrette à jouer et à regarder le paysage et aussi les autres pédaler. De temps en temps, on s’arrête pour discuter avec des zélus, je bois du jus d’orange, je mange des gâteaux et on repart.
Aujourd’hui on a franchi le canal sur un pont flottant, c’est rigolo ça bouge. Aussi, on a regardé comment les péniches faisaient pour passer les écluses, ici c’est encore avec une manivelle qu’on ouvre et qu’on ferme les portes, ça permet aux jeunes du coin de se faire un peu de sous pendant les vacances.
Tiens, mais je reconnais là ! On est tout prêt de Nancy. Ce soir notre camping c’est un stade de foot, malheureusement on a oublié le ballon.
Stanislas à vélo !
Ce matin, j’ai le droit de rouler car nous sommes sur des voies vertes magnifiques et très sûres pour moi, je me paie même le luxe d’arriver place Stanislas en vélo !
Nancy est déjà loin depuis longtemps, nous passons maintenant à Custines et là attention les vélos, il faut prendre la grande route, ce n’est pas drôle, alors qu’il serait si simple de laisser un petit chemin sur le côté pour qu’on puisse passer sans risque. Alors, il n’y a pas de zélus ici qui pourraient faire quelque chose ?
Oulà ! Mais on va jamais y arriver !! Nicolas a dit : « Ce soir on dort à Soléole et Soléole c’est… tout là haut sur la colline ! » Pascale est descendue en voiture, je vais monter avec elle, elle est super gentille.
Maman continue avec la charrette avec Albert qui fait semblant de l’aider mais en fait d’après elle il se fait tirer. Papa a gardé Victor dans sa carriole pour faire le mariole et tout le reste de la troupe monte la côte courageusement. Il faut dire que le paysage est tellement beau que ça donne du courage.
Et dire qu’il y a des zélus, mais des grands zélus, qui voudraient faire passer une autoroute par ici ! Ces grands zélus ils n’habitent pas ici, ils ne sont même sans doute jamais venus ici…
Là haut sur la montagne
En haut, c’est un vrai petit paradis qui nous attend, ce soir on ne dort pas sous la tente mais dans de superbes petits chalets en bois avec un poêle qui ronronne et qui va permettre de sécher les affaires. Il faut dire que les averses nous poursuivent depuis notre départ et il fait une température d’Octobre. La soirée à Soléole est mémorable, les membres de l’association du Pavé nous ont préparé un festin et depuis mon lit en m’endormant j’entends les grands qui parlent fort et qui rigolent.
Les jours suivants, le temps s’arrange et se met progressivement au beau. On roule souvent au bord du canal, on traverse Pont à Mousson où on visite les Prémontrés et où un monsieur très gentil nous donne des beaux polos bleus, moi ça me fait une belle petite robe.
Un après midi alors que mon frère et moi faisons la sieste dans les charrettes, tout à coup tout le monde s’arrête et ça discute fort et ça s’agite. Je descends de ma carriole pour voir ; la pièce qui permet d’attacher le vélo de Victor à sa charrette a cassé. On est cuits, ou plutôt Victor est cuit car il devra rouler tout le temps maintenant. Je le savais que ça se paierait…
Par chance, des ouvriers qui travaillent sur le bord de la route vont jouer les Mac Giver’s et fabriquer une pièce de rechange avec un morceau de barrière de sécurité ! Trop forts les gars ! La chance Victor !
On passe la nuit au camping de Corny où nous attendent autour d’un excellent buffet un groupe de zélus forts sympathiques et qui ont l’air de croire qu’on n’est pas des fous de vouloir voyager en vélo. Dans le camping, il y a plein de zollandais qui s’arrêtent ici une nuit avant d’aller s’entasser sur les plages du sud de la France ou de l’Espagne.
La Moselle en Moselle
Le lendemain c’est l’arrivée dans Metz par un chemin superbe au début et qui passe à côté d’un aqueduc qui a été construit par les romains pour amener l’eau à la ville. Ensuite c’est l’horreur, on doit emprunter un pont plein de voitures qui roulent très vite, on passerait bien sur le trottoir mais il est encombré par une camionnette de police qui surveille les voitures qui passent…en dessous du pont, c’est pratique…
Le soir après une longue journée sur les vélos (même moi !) on arrive à au camping de Thionville qui se trouve tout au bord de la Moselle. Je me dépêche de me faire beau car ce soir on va manger chez le papy et la mamie car c’est ici qu’ils habitent et après on va… au feu d’artifice du 14 Juillet !!
Le lendemain c’est la fête, je me retrouve à pédaler au milieu de plus d’un millier de vélos qui traversent la ville et rejoignent bien vite la très belle voie verte du bord de la Moselle car aujourd’hui c’est le «Beau vélo de Ravel», une manif rigolote organisée par des belges un peu allumés qui croient vraiment au vélo.
On quitte ensuite toute cette bande de joyeux cyclistes pour continuer de suivre la Moselle mais moi je m’endors dans ma charrette…
Changement de monde
Quand je me réveille, je ne comprends plus rien. On roule sur une piste superbe au bord de l’eau, il y a plein de bateaux sur la Moselle, il y a plein de gens qui se promènent en vélo, en roller ou à pied, il y a des terrasses de café au bord de l’eau.
- Ben, on est où Papa ?
- On n’est plus en France…
- Ca je me doute, mais on est où ?
- Là on est au Luxembourg mais tout à l’heure on était en Allemagne et là après le pont on sera de nouveau en Allemagne
- ????
Après 2 jours sur une splendide voie verte où moi et mon frère on peut rouler sans faire peur à nos parents on arrive au bout de notre voyage, à Trêves. Entre temps on a vu plein de choses, les vignes qui descendent jusqu’au bord de la Moselle, des vieux châteaux, plein de bistrots où on peut manger des glaces, on a même traversé la Moselle sur un bac, trop cool…
- Et maintenant comment on fait pour rentrer chez nous ?
- Et bien en train, ici c’est super facile !
Effectivement, à peine vingt minutes après qu’on soit arrivé à la gare, on embarque avec tout notre bazar dans un joli train rouge et blanc qui nous ramène vers notre maison.
C’est vrai que c’est facile ici ! Moi je crois qu’ici les zélus, ils aiment bien les vélos, peut être même qu’ils savent encore en faire….
O Moselle salut !
Mère illustre en flaques d’eau,
en voies vertes (pas assez),
et en glaces à la vanille avec un petit peu de crème chantilly dessus …
Sacha, cycliste du XXI ème siècle
- Descente de la Moselle en Voies Vertes - 29 juillet 2007