Tatras ou patatras ?

MONTAGNES SLOVAQUES ET POLONAISES - Août 2007

Ambiance plutôt austère en ce petit matin du mois d’août dans l’entrée du refuge Sliezsky Dom. Déjà l’architecture du refuge en elle même ne donne pas envie de rigoler, c’est du lourd, construit « pendant le régime » comme on dit par ici sans qu’il soit nécessaire de préciser de quel régime il s’agit. Mais, en plus, avec la pluie qui tombe depuis plus de 24 heures et le vent qui souffle dans ce vallon, chacun d’entre nous se demande un peu ce qu’il est venu faire ici à près de 1500 km de la France en plein cœur des Tatras alors qu’il ne doit pas faire si mauvais sur les plages de méditerranée…

En montant à Sliezsky Dom

C’est le moment du briefing, nos 3 guides slovaques nous montrent sur un immense poster du Gerlach (2655 m.) collé au mur du hall d’entrée la voie qu’on aurait dû emprunter sur le versant Est de la montagne mais impraticable par ce temps et la voie normale, plus facile, qu’on va « tenter de remonter jusqu’où on peut » tout en sachant « qu’avec ce temps les chances d’aller au sommet sont infimes« …

Sur la « Magistrale »

Au cas où, casques, harnais et cordes sont enfournés dans les sacs à dos et nous voilà partis sous un ciel des plus inquiétants. Il ne fait aucun doute que dans une heure ou deux nous serons de retour, sans avoir jamais aperçu le sommet et trempés jusqu’aux os. Mais nous sommes nombreux, 8 membres d’Oxygène dont Peter qui nous a, depuis fort longtemps, organisé ce périple slovaque sur sa terre natale, son frère Ignac 1] qui vit à Bratislava, Jolanda qui est tchèque et Radis tchèque également et sans doute fils caché d’un des leaders du groupe ZZ Top vu sa barbe et le pyjama qui lui sert de pantalon. L’ascension ne peut théoriquement se faire sans guide et nos trois guides ne sont disponibles ensemble qu’aujourd’hui, c’est donc la raison de notre présence à cette heure malgré la météo.

Au fur et à mesure qu’on se rapproche de Batizovské Pleso autrement dit le lac Batizov, le vent se lève et le ciel semble vouloir se dégager, d’ailleurs le soleil brille déjà dans la plaine toute proche de la Váh où nous avons laissé le reste du groupe trop jeune ou peu tenté d’en découdre avec les éléments. Les plus optimistes commencent à y croire, nos guides retrouvent le sourire et ça discute un peu dans toutes les langues allemand, anglais, slovaque.

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Une fois passé le lac nous arrivons très vite au pied du mur, c’est le cas de le dire. Face à nous, une paroi de 500 mètres de dénivelé environ constituée d’un granit très pur formant un système complexe de pics de couloirs et de faces et on a du mal à se faire à l’idée que le sommet dépasse à peine les 2 600 mètres d’altitude, tout juste l’altitude d’un refuge dans nos Alpes !

Nous sommes répartis en 3 cordées, normal il y a 3 guides. L’escalade n’est jamais difficile (du II pour les spécialistes) mais il y a très peu de replats et au fur et à mesure que l’on monte le vide se creuse (ce qui, si on y réfléchit bien, est tout à fait normal…). Par chance, il a cessé de pleuvoir et il n’a pas fallu longtemps au vent pour sécher le rocher et au dessus de nos tête on aperçoit le sommet entouré d’un magnifique ciel bleu.

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La voie est vierge de tous signes qui permettraient de trouver l’itinéraire, ici ni marques de peintures, ni cairn ne permettent de trouver l’itinéraire; seuls par endroit quelques chaines et autres barreaux d’échelles montrent le chemin, vestiges d’une époque pas si lointaine où le Gerlach était entièrement équipé comme une via ferata.

La progression est lente mais régulière, puis soudain on débouche sur l’arête, aérienne mais par chance le vent est presque tombé, le sommet est à deux pas.

Des français, des slovaques, des tchèques, des polonais, un roumain au sommet du Gerlach, point culminant de la Slavaquie
Des français, des slovaques, des tchèques, des polonais, un roumain au sommet du Gerlach, point culminant de la Slovaquie

Au pied de la croix sommitale une cordée polonaise nous a devancés. Si on fait le compte des origines ou des lieux d’habitations des uns et des autres c’est un petit morceau d’Europe qui se trouve ce matin sur le toit de la Slovaquie : France, Belgique, Pays Bas, Roumanie, Pologne, Tchéquie et bien sûr Slovaquie sont représentés ! C’était bien le but initial de ce projet un peu fou qui consiste à gravir les points culminants de tous les pays de l’Union Européenne. Et un de plus !

Et de deux !

Gonflés à blocs par notre réussite de la veille et rassurés par un ciel parfait, nous partons ce matin pour le Rysy, le « pic du Lynx », point culminant de la Pologne mais qu’on peut facilement atteindre par le versant slovaque en partant de la station de ski de Strbské Pleso.

Alors les gars, on a chaud ?

Le début de l’ascension emprunte le superbe chemin qui remonte une partie de la vallée de la Mengusovskà repérée hier par le reste du groupe accompagné des enfants (quelle organisation !). On arrive ensuite au pied du sentier qui grimpe au chata (refuge) Pod Rysmy, autrement dit le refuge sous le Rysy, ça tombe bien c’est là qu’on va !

Au départ du chemin pour le refuge se trouvent entreposés sur des sortes d’étagères des sacs de charbons, de victuailles et même des buches. A côté un écriteau précise le tarif offert pour le portage jusqu’au refuge, un thé chaud pour un sac de charbon par exemple, quant à la buche c’est précisé « For strong man only ! ».

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Effectivement ici on se passe le plus possible des hélicoptères pour ravitailler les refuges et vue la densité de refuges dans le massif et surtout leur fréquentation ce n’est pas plus mal ! On croisera régulièrement des porteurs lourdement chargés ( 75 kilos de charge nous confiera l’un d’eux !) qui font la navette entre la vallée et le refuge, l’histoire ne dit pas si le refuge prend en charge les inévitables consultations chez l’ostéopathe en fin de saison pour les dos de ces forçats.

Le Rysy (2499 m.) et par là même le territoire polonais est facilement atteint par un bon sentier vers la fin de matinée, mais nous ne sommes pas les premiers loin de là…

Du sommet la vue côté polonais donne véritablement le vertige, les lacs Morskie oko et Czarny Staw (le lac noir) semblent être à un jet de pierre du promontoire où on se trouve et pourtant 1 000 mètres de dénivelés nous séparent du premier de ces lacs ! Et vous savez quoi ? C’est par là qu’on redescend ! En effet l’idée avait germé la veille dans nos cerveaux torturés de réaliser l’ascension du Rysy en traversée : montée côté slovaque, descente côté polonais, puisque Espace Schengen oblige c’est désormais possible.

Solitude des cîmes

Du sommet du Rysy, on comprend enfin le surnom qu’on donne souvent aux Tatras de « plus hautes petites montagnes d’Europe ». En effet au sud on distingue très nettement la plaine de la Váh d’où nous sommes partis et au nord à quelques kilomètres les plaines boisées polonaises ont déjà oublié la montagne. Les Hautes Tatras font à peine 50 km de long et 20 de large mais leur faible superficie est largement compensée par leur côté très alpin. Ici, la Nature n’a pas fait dans la demi-mesure, point de Piémont ni de longues vallées, soit on est en plaine, soit on est en haute Montagne et pour passer de l’un à l’autre on se débrouille…

Les sandales de l’extrême

C’est donc ce qu’on va faire… Il nous faut entamer la descente avec deux difficultés: la raideur de la pente, 1000 m. de chute libre pratiquement sans aucun replat et, seconde difficulté, un nombre incroyable de randonneurs-grimpeurs de tous poils et de tous âges sur l’itinéraire. Et comme l’entreprise est tout de même pas mal scabreuse, les 2/3 du parcours sont équipés de chaines sur lesquelles le croisement n’a rien d’évident.

Et Patatras !

Nous voilà donc partis à passer d’une chaine à l’autre (zaper devrait-on dire ?) en distribuant à tour de bras des dobry dien ou plutôt des dzien dobry car nous sommes en Pologne maintenant.

Travail à la chaîne

C’est à ce moment que Sylvette, si réservée à l’accoutumée, a voulu tenter une figure de freestyle délicate qu’elle réceptionna sur la partie charnue de son anatomie qu’on appelle en français le cul, en polonais je ne sais pas…. C’était sans compter avec la dureté du granit polonais qui comme chacun le sait avoisine les 7 sur l’échelle de Mohs qui en compte 10 2.

A mesure qu’on approchait du lac, on remarqua dans l’ordre les 3 choses suivantes qui n’ont finalement que très peu de rapports entre elles : il y avait de plus en plus de monde sur le sentier, les randonneuses étaient de moins en moins vêtues et la fesse de Sylvette augmentait de volume à vue d’oeil,enfin l’oeil de Peter car on ne se serait pas permis.

Pardon, pardon, pardon…

A Morskie Oko, un spectacle apocalyptique nous attendait. Le bord du lac était littéralement noir de monde et la route interdite aux voitures continuait de déverser un flot continu de marcheurs. Apparemment les 38 millions de polonais s’étaient donné rendez-vous au pied du Rysy en cette journée du 15 Août, heureusement quelques uns avaient décliné l’invitation…

C’est donc en fendant littéralement la foule que nous avons rejoint 12 heures après notre départ côté slovaque la frontière polonaise à Lysa Polana, sans Peter et Sylvette partis en éclaireur consulter chez un fessologue de Poprad.

Fontaine à Zdiar

Le lendemain comme la pluie ne se décidait toujours pas à revenir afin qu’on puisse se reposer, une rando avec les enfants dans les Spisska Magura au dessus du joli village de Zdiar servit d’alibi à nos muscles endoloris.

Mais le soir même, Peter, qui n’est pas du genre à laisser passer une journée sans aller en montagne nous propose pour le lendemain une combinaison diabolique que le massif des Tatras recèle : Monter par la Mala Studena Dolina (petite vallée froide}), franchir le Priečne Sedlo et redescendre par la Velka Studena Dolina (grande vallée froide).

Sens unique

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Au petit matin, l’antique funiculaire de Stary Smokovec nous débarque donc à proximité des gorges de la Studeny (repérées l’avant veille par les enfants une fois de plus…).

Comme pratiquement partout dans ce massif, le chemin est littéralement taillé à travers une forêt de pins nains totalement impénétrable et il est pavé avec d’énormes morceaux de granit arrangés avec soin. Il faut dire que les Tatras ont vu les premiers randonneurs et alpinistes arriver à la fin du XIXème siècle, ensuite « pendant le régime » c’était pour les habitants des pays de l’Est les seules « vraies » montagnes accessibles, c’est devenu un parc national (TANAP) en 1948.

Un petit arrêt à la cabane Teryho chata permet à Peter de se renseigner sur la faisabilité de notre projet.

  • « Pas de problèmes, mais allez-y vite car le mauvais temps arrive ! «  répond le gardien.

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Sans trainer, on reprend donc notre ascension sans pourtant voir dans ce dédale de parois toutes plus abruptes les unes que les autres quoi que ce soit qui ressemble à un col.

Mais si, en regardant bien, au dessus de nous on voit des « randonneurs » pendus à des chaînes et qui progressent vers une brèche. La pluie se met à tomber lorsque nous atteignons les premières chaînes, si l’autre versant est aussi abrupte que celui-ci on n’est pas « sortis de l’auberge »…

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Heureusement, l’autre versant est moins alpin et la pluie s’arrête. Arrivés au refuge Zbojnicka on lira sur un panneau que l’itinéraire que l’on vient d’emprunter est en fait à sens unique, il est en effet interdit de le prendre dans l’autre sens !

La longue descente vers notre camping se fera sous la pluie avec en fond sonore le tonnerre qui résonnent sur les hauts sommets des Tatras, le gardien de Teryho chata avait raison…

Le pays des Ours

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Il est temps pour nous de quitter les Hautes Tatras, non sans avoir été se prélasser dans les sources chaudes des environs de Kezmarok ou trainer dans les grottes de Belianska.

Depuis le début du voyage, nous étions quelques uns à se poser la question pourquoi Jean Paul avait tenu à prendre son véhicule au lieu de profiter d’une place dans le minibus ou dans la papa-mobile de Marie Noëlle. La réponse nous fut donnée lorsqu’après une halte dans le village préservé de Vlkolinec on le vit s’élancer « hors piste » dans une pente à faire frémir les meilleurs freeriders avec Odile comme co-pilote qui criait « Allez fait péter la calandre ! » Mais quand est-ce qu’ils vont devenir raisonnables ces deux là ?

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Pour la suite du voyage, Ignac tenait à nous faire découvrir son petit coin de paradis une cabane en rondins dans la montagne située dans les montagnes au dessus de Staré Hory dans les Nizke Tatry, les basses Tatras, une région à ours !…

Autour de cette cabane où on s’attend à chaque instant à croiser le docteur Zhivago ou bien Michel Strogoff, l’épaisse forêt qui recouvre un relief qui ressemble beaucoup à notre Jura est une invitation à la randonnée. Il n’en fallait pas plus à Peter pour nous organiser depuis là l’ascension de la Majerova Skala pendant que les enfants et leurs mamans se perdront en tentant de rejoindre la Spania Dolina, une vallée voisine !

Et l’ours ? Il ne s’est pas montré durant notre séjour mais ses empreintes laissées sur les chemins non loin de la cabane démontrent que lui aussi se plait bien en Slovaquie !

En montant au Majerova Skala

Il y aurait encore tant à dire et à raconter comme tous ces châteaux qui jalonnent le paysage, et puis toutes ces auberges où on a tous pris quelques kilos en dégustant la gulash, le halusky, les fromages torsadés, roulés ou encore panés, les palacinky et la bière, ah la bière slovaque… mais vous n’aviez qu’à venir, Na !

Un grand, grand merci à Peter et Ignac pour nous avoir fait découvrir leur pays !

Portfolio

Et il y a aussi une vidéo !

  1. C’est un petit nom charmant…
  2. C’est dingue ce qu’on apprend lors des sorties Oxygène !
Thierry
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